Petite histoire aux grandes conséquences

Petite histoire aux grandes conséquences

Février 1958, l'OM (Olympique de Marengo) accueille le Galia sport d'Alger dans un match de football explosif, sur une action menée tambour battant par le milieu de terrain des marengoins, une reprise de volée de l'avant centre local a failli faire mouche. Du haut de la tribune, une voix s'éleva : « La prochaine fois brosse la balle khouya (mon frère) », aussitôt une autre lui répliqua : «He Cap, apprend à ton frère à brosser » (sous entendant à cirer les chaussures). Ce fut les paroles du sergent René Ducarmes qui était à l'époque à la SAS de Meurad (village à 4 km de Marengo).  Se sentant insulté dans son propre pays par un colon,  le dit Cap, qui était en fait un diminutif d'Al Capone et qui en réalité s'appelait Mohamed répondit : « Viendra le jour, Monsieur Ducarmes, où ça sera vous qui lui cirerez les chaussures ».

Dans un silence de cathédrale, les supporters colons français suivirent le restant de la partie en ayant cette phrase dans leur tête et qui bourdonne dans celles qui sont encore en vie. Elle fut prononcée ce dimanche du mois de février 1958, suivirent le lundi, le mardi et le mercredi, depuis ce jour là on n'a plus revu Monsieur Ezzedami Mohamed, âgé alors de 26 ans, frère de Ezzedami Zoubir qui était l'avant centre de l'équipe de l'OM.

Ce mercredi, tu avais conduit ta femme de 21 ans et tes enfants 2 ans, 1 an, et 2 mois faire un tour à Hamam Righa dans ta Citroën 15 légère mais tu as rebroussé chemin car tu te sentais suivi, tu as déposé ta petite famille chez les grands-parents derrière l'hôpital, tu as dit à ton épouse : « Je vais chercher à souper pour les enfants » Malheureusement, personne ne t'a revu, apparemment tu as été emmené de force devant la maison rue de la batterie (Douar el zouaoui) dans une voiture noire où l'on a du t'assommer à coup de crosse pour t'y faire pénétrer. La suite n'est que supputation, certains disent que tu as été assassiné tout de suite, d'autres disent que tu as du creuser ta tombe de tes propres mains dans les environs de Kasbar, un petit cimetière situé sur la droite avant d'arriver au rond point de Hamam Righa, possible que ce soit là ta dernière demeure et que tu as voulu indiquer à ta famille qu'il fallait regarder dans cette direction en effectuant ton ultime escapade avec elle. Tu as été à 13 ans l'ainé de 7 enfants orphelins de père et de mère, tu as réussi à les élever et à leur donner tout ce dont ils avaient besoin malgré ton jeune âge, tu as dormi sur les tables en marbre des abattoirs, été comme hiver, pour leur laisser la place chez l'un ou l'autre oncle. Personne n'a manqué de rien, sauf de toi quand tu n'as plus été là. On t'a surnommé Al Capone parce que, dans ta démarche et allure fière, tu as su assortir ta tenue vestimentaire ce qui te donnait un air de ressemblance à celui qui reignait sur Chicago à cette époque, cela faisait des envieux et des jaloux dans toute la communauté coloniale. Tu as toujours défendu les faibles, tu as pleuré quand ton ami et frère Sid Ali Hocine fut assassiné par l'armée française, tu voulais le venger mais la maladie t'avait retenu au lit. Tes escapades nocturnes vers le maquis pour ravitailler les Moudjahidines n'étaient connues que par ta belle-mère qui savait, à sa manière, rassurer sa fille. Quelquefois tu es apparu dans des rêves, beau et élégant, fidèle à ta réputation, tes paroles furent : « Je viens juste voir si vous allez bien ». Je te rassure, Papa, que nous allons tous bien, du moins nous deux, ta dernière t'avait rejoint à l'âge de 6 mois suite au chagrin de ton épouse du à ton absence. La personne (ton frère Zoubir) qui s'est occupée de nous après ta disparition l'a fait d'une manière plus qu'exemplaire, nous a donné une très bonne éducation, de l'assistance, de la tendresse et de l'amour dont tout enfant peut espérer. Au point de se sacrifier pour pas mal de choses afin de nous voir heureux mais cela tu dois le voir de là où tu es. Plusieurs personnes dans ton cas ont disparu et dont leurs parents se posent des questions et aimeraient, ne serait-ce que connaître l'endroit où ils sont enterrés afin d'aller  prier sur leur tombe.

Tu as donné ta vie, tu as payé par tes mots ce que les uns et les autres attendaient parce que, malgré les apparences, tu étais discret sur l'essentiel c'est-à-dire le combat pour la liberté de l'Algérie. Nous sommes fiers de toi d'avoir annoncé, en public et dans une tribune, la fin du colonialisme quatre ans avant, malgré toi, et est-ce là un cadeau du ciel qui te fut donné juste avant ta mort pour t'exprimer debout, devant un parterre de monde et dire ce qui te tenait le plus à cœur? Cette place n'est donnée, dans ce bas monde, qu'aux gouvernants et toi tu l'as eue à 26 ans dans ton pays qui est l'Algérie et de surcroît sous l'occupation. Tu resteras à jamais vivant dans nos coeurs et nos pensées car les HEROS ne meurent jamais. Allah yarahmek wi wassaa alik dar el-daima, Allah yarhem el chouhadas.

Je suis fier de toi papa.

Kouider Ezzedami.

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Commentaires (17)

aoues el hadi
  • 1. aoues el hadi | 23/11/2012
celui qui a laisser derrière lui un Homme n'est jamais mort!!!!!!
ADDI Redha
  • 2. ADDI Redha | 06/11/2012
Un grand merci de la part de ton cousin Redha, car je viens d'apprendre une page d'Histoire de notre famille et de notre pays que même ma mère ( ta tante qui t'embrasse bien fort) ne savait pas ! Je suis tombé par hasard sur ta page, mais je n'ai pas su retenir mes larmes avant la fin ! Vraiment merci, et décidément 2012 sera une année de révélation familiale pour moi ! De la ou mon oncle Mohamed se trouve, (paix a son âme) je suis sur qu'il est fier du travail de recherche que tu as fait et de l'hommage que tu lui rends ! Je t'embrasse bien fort Mon Cousin, je pense souvent a vous, maman va tres bien, elle t'embrasse également et te remercie aussi ! et au passage je vais tres bien aussi ! contacte moi si tu le souhaites... Ton cousin qui adorait ta 2Cv !!!! ;)
kouider
  • 3. kouider | 13/02/2012
salem Khouya Kamel.
Merci du fond du coeur pour ce message celà me touche profondément. Choukrane Djazila.
kamel S-T
54 déclenchement de la révolution, 54 (ans) déjà partis pour nous en martyrs, mais tu as laissé un modèle de fierté et grâce à lui nous t'évoquons et nous nous battrons contre l'oublie, aujourd'hui toute la famille se réuni mais aussi ceux qui connaissent en toi un vrai Marengoin, un Martyr de la cause nationale, un Martyr de la liberté, un martyr du droit dont durant tes derniers instant de ta vie tu as combattu contre les forces discriminatoires et l'injustice, je me joins à tes frères et particulièrement à ton fils Kouider pour exprimer du profond de mon âme une pieuse pensée ALLAH YARAHMEK WA WASSÂÂ ÂÂLIK DAR DAYMA Amine ya Rab el ÂÂlamine
Kamel Sahraoui
  • 5. Kamel Sahraoui | 13/02/2011
UNE PIEUSE PENSEE POUR MOHAMED EZZEDAMI ET UNE PRIERE POUR QUE DIEU LUI ACCORDE SA MISERICORDE, MOHAMED TU AS LAISSE L'ARBRE GENEALOGIQUE GRANDIR REPOSE EN PAIX BENEDICTION A TOI QUE NOTRE DIEU NOUS GUIDE VERS SA VOIE (AMINE YA RAB EL ÂÂLAMINE)
KAMEL
http://stak62400.typepad.fr/mon_weblog/2010/05/devoir-de-memoire-dun-enfant-de-marengohadjout.html
POUR LA MANIFESTATION DE LA VERITE
kouider
  • 7. kouider | 07/04/2010
salem aalikoum Kamel, en lisant ton commentaire une grande émotion a envahi mon être et les larmes ont suivi d'autant plus qu'hier (06/04/2010) je me suis rendu à la dite Kasma pour avoir la liste des chouhadas( allah yerhamhoum)à ma grande surprise personne n'a pu me répondre ni satisfaire à ma demande, on m'a demandé de me présenter et la mon sang n'a fait qu'un tour car les gens en question n'étaient pas de Marengo (un de Marceau et l'autre de Boumedfaa)j'ai juste répondu qu'il ne leur était pas possible de me reconnaître dans la mesure oû j'étais le fils de quelqu'un qu'ils n'auraient pas pu croiser puisqu'ils sont arrivés chez nous après l'indépendance.Je n'ai point voulu continuer la conversation,seul un d'entre eux répliqua je ne sais quoi en citant le nom de mon oncle Zoubir qui soit dit en passant un jour les avait remis à leur place en les renvoyant sur leur site géographique leur recommandant d'arrêter de glaner deci-delà des informations pour se fabriquer une histoire révolutionnaire.
Notre belle ville Kamel est envahie et c'est désolant de voir ce qu'ils en ont fait.
Kamel c'est avec grand plaisir que je répond à ton souhait et je te remercie infiniment.
A bientôt inchaalah.
kamel Sahraoui
  • 8. kamel Sahraoui | 05/04/2010
Je lis et relis avec une très forte émotion l'une des plus belles pages de notre histoire commune celle de notre ville Marengo, il s'agit effectivement d'un grand hommage rendu envers ton défunt père (Allah yarahmou)... Personne d'autre ne pourra évoquer mieux son histoire, sauf tes oncles Zoubir et Boualem, que je salue sur ce passage....à travers tes oncles notamment Zoubir tu relates une vérité d'une personne, celle de ton défunt père qui à travers son élégance, sa classe, son savoir vivre mais surtout son franc parler a attisé les foudres des colons ceux qui peu après devenus avec certitude membres de l'O.A.S. Etant très jeune à l'époque je n'avais pas eu l'honneur de connaître ton défunt père, mais je l'ai connu à travers son histoire parfaitement résumée par notre ami Khaled Khalidou et beaucoup d'autres amis de tes oncles notamment Zoubir avec lequel je garde de très bons et d'exellents souvenirs.
Ton défunt père (Allah yarahmou)était surnomée "Al Capone", l'attribution de ce pseudo était lié par rapport à son style de gentlemen mais surtout son franc parler très aïgu pour la cause nationale, il en était très fier de dire tout haut ce que la majorité d'Algériens pensaient tout bas.. la suite est connue puisque les hommes libres comme ton père ont sacrifié leur vie mais aussi leur famille pour que naisse l'Algérie indépendante (allah yarham chouhadas)... Depuis il y a beaucoup à dire, la Kasma de Hadjout est pointée du doigt (j'assume pleinement mes propos) elle n'a pas daigné rehausser l'histoire des enfants de notre ville morts pour notre "ALGERIE INDEPENDANTE"
au point où l'intrusion des personnes, je dirais "opportunistes" ont causé l'amnésie.
Avec ta permission je souhaiterais recopier l'hommage rendu à ton père(Allah yarahmou) sur site HADJOUT FINE FLEU DE LA MITIDJA cele serait pour nous Hadjoutis de revendiquer la vérité.
SALUTATIONS FRATERNELLES POUR TOI ET TOUTE TA FAMILLE
kouider
  • 9. kouider | 04/02/2010
salame aalikoum khouya khaled, tes écrits me vont droit au coeur. Merci de ton récit et ta déscription de mon paternel complète l'image que j'ai toujours eu de lui à travers les souvenirs de l'un et de l'autre.
Merci.
KHALED Khalidou
  • 10. KHALED Khalidou | 04/02/2010

Ado la fin des années 50, je me souviens parfaitement de notre El Capone, Mohamed Zédaïmi, Allah Yerhamou.
Elégant, yeux pénétrants et toujours souriant. Une allure de « jeunes premiers » de l’époque, bouclette et petit foulard, toujours en compagnie de son fidèle et inséparable chien loup. Eté chemise blanche et espadrille cirée au blanc d’Espagne
Fier, pas froid aux yeux, une voix directe qui porte et qui fait mouche.
Ado on l’admirait.
Sa disparition a été pour nous tous une profonde et silencieuse tristesse.

J’ai lu avec une grande émotion ce récit douloureux « Petite histoire aux grandes conséquences » qui nous relate les circonstances de la disparition de Cap, de Mohamed Allah Yerhamou.

Mes amitiés à toute sa famille et notamment à mon ancien pote de classe Boualem Zedaïmi.

Allah Yerham Ecchouhada.
KHALED Khalidou
  • 11. KHALED Khalidou | 02/02/2010
Ado les années cinquante je me souviens parfaitement de notre Al Capone, Mohamed Zedaïmi, Rahimouhou Allah.
Elégant et toujours souriant, bouclette et petit foulard. Moustache fine et yeux pénétrants. Une belle allure de "jeunes premiers" de l'époque toujours en compagnie de son fidèle et inséparable chien loup. Fier, pas froid aux yeux, une voix directe, une voix qui porte et qui mouche.
Ado on l'admirait.
Sa disparition a été pour nous tous une profonde et silencieuse tristesse.
J'ai lu avec une grande émotion ce récit "Petite histoire aux grandes conséquences" qui nous relate les circonstances de la disparition de Cap, Mohamed Allah Yerhamou.
Mes amitiés à toute sa famille sans oublier mon pote de classe Boualem.

Allah Yerham Echouhada.
maaloum(alilou)
  • 12. maaloum(alilou) | 12/10/2009
mon frère kouider en est fier d"être algérien j'été émut de cette belle histoire qui nourris notre sens de nationalisme lah yarham echouhada,et votre père c'est héros parmis les héros qui en fait l,histoire de notre chére pays
kouider
  • 13. kouider | 28/09/2009
Merci ma soeur Sadia .
SADIA
  • 14. SADIA | 28/09/2009
khouya Kouider
je viens de lire avec beaucoup d'émotion votre écrit dédié à la mémoire de feu votre père Ellah yerrahmou oua Ellah yerham koul echouhada; un exemple pour toutes les générations à venir
merci d'avoir partagé avec nous les hadjoutis entre autres ce grand moment d'émotion et gloire à nos martyrs!
ps: je connais bien vos deux oncles Zoubir et Boualem !
amitiées
sadia
aouabeur  azzedine
  • 15. aouabeur azzedine | 22/07/2009
j'ai bien entendu l'histoire de votre regrette pere 'sois fier de ton chahid pere qui a marque l'histoire de notre chere ville a l'instardes autres chouhadas ould hocine moha marengo'et d'autres
kouider
  • 16. kouider | 19/07/2009
Merci Halim , juste pour le faire connaître aux jeunes de Marengo.
Merci Halim
Halim
Une fierté bien à sa place Kouider.

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